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1 avril 2009

Rapport élections El Salvador

Guatemala City, le 23 mars 2009

Elections présidentielles 2009 - El Salvador

Expérience au sein d’une mission d’observateurs internationaux

A l’occasion des élections présidentielles salvadoriennes du 15 mars 2009, je me suis jointe à l’ONG CIS afin de participer à la mission d’observateurs internationaux. Voici donc en substance ce que j’ai vu, lu et entendu lors de mon séjour de plus d’une semaine, au fil des rencontres et des réunions.

I. Glossaire

ARENA : Alianza Republicana Nacionalista, parti créé par Roberto D’Aubuisson en 1981. Jusqu’à ces élections, cela faisait plus de vingt ans que ARENA était au pouvoir. Son idéologie est très clairement de droite, néolibérale et conservatrice.

CD : Cambio Democrático, parti politique considéré comme étant de centre gauche, c’est le benjamin des partis salvadoriens qui vit le jour en 2005.

CIS : Centro de Intercambio y Solidaridad, ONG fondée au Salvador après la signature des accords de paix, elle regroupa différents groupes de solidarités originaires tant des Etats-Unis que du Canada et de l’Europe. Les élections présidentielles de 2009 étaient les huitièmes au cours desquelles le CIS eut une mission d’observateurs internationaux.

DUI : Documento Único de Identidad, carte d’identité salvadorienne.

FMLN : Frente Farabundo Martí de Liberación Nacional, né en 1980 de l’union de differentes forces politiques d’opposition et de mouvements révolutionnaires, le front est officiellement passé du statut de guérilla à celui de parti politique de gauche (socialiste) à la signature des accords de paix, quand il déposa les armes.

JED : Junta Electoral Departamental, soit le Conseil Electoral Départemental. C’est un organisme électoral temporaire. Lors de ces élections il y en avait quatorze à travers le pays.

JEM : Junta Electoral Municipal, soit le Conseil Electoral Municipal. Temporaires comme les JED, leur nombre s’élevait à deux cent soixante-deux en mars dernier. 

JRV: Junta Receptora de Voto, nom donné à l’ensemble de personnes constituant la table de réception de vote. Chacune est composée de quatre membres, le président et le 1er vocal étant d’une parti, le secrétaire et le 2ème vocal étant de l’autre. Il y a alternance, ainsi si à la table 1, le président est aréniste, à la table 2, le président sera éféméléniste. Lors de ces élections, il y avait 9'543 JRV, soit tables de réception de vote, réparties dans 461 centres de vote à travers le pays, la plupart du temps dans des écoles.

PCN

: Partido de Conciliación Nacional, fondé en 1961 par le colonel Julio Adalberto Rivera, c’est traditionnellement le parti des militaires. C’est un parti idéologiquement très à droite, conservateur et militariste.

PDC : Partido Democrático Cristiano, parti centriste, d’idéologie humaniste chrétienne, fondé en 1960.

PNC

: Policía Nacional Civil, durant les élections, la police nationale civile répond directement du TSE. En outre, par mandat constitutionnel, c’est elle qui est chargée de la sécurité tout au long du processus électoral. L’armée n’a pas à agir le jour des élections. En cas de flambée de violence extrême, c’est à la police anti-émeute de juguler la crise – à noter que son intervention n’a jamais été nécessaire depuis la signature des accords de paix en 1994.

TSE: Tribunal Supremo Electoral, il est composé de cinq magistrats : trois de ses membres sont issus des trois partis les plus importants. Ce sont les partis eux-mêmes qui désigne leur représentant. Les deux autres magistrats sont nommés par la Cour Suprême de Justice. Alors qu’au vu des derniers résultats électoraux le troisième représentant politique aurait dû être issu de la coalition PDC/CD, l’assemblée législative a rejeté sa candidature sous prétexte qu’elle ne l’avait pas soumise d’une manière conforme et décida, en lui et place, d’accepter le représentant du

PCN

, ce qui créa une certaine polémique et fait dire au magistrat Eduardo Antonio Urquilla, du TSE, que ce choix est anticonstitutionnel.

II. Enjeux et campagne

Ces élections présidentielles revêtaient une importance particulière. En effet, pour la première fois, le candidat du FMLN, Mauricio Funes, avait de bonnes chances de l’emporter sur le candidat de ARENA, Rodrigo Avila. A noter qu’au départ, deux autres partis avaient présenté leurs candidats à la présidence et la vice-présidence, le PDC et le

PCN

. Etant idéologiquement plus proches de ARENA que du FMLN, le PDC décida de retirer son candidat afin de concentrer les votes de la droite sur un seul parti, ARENA en l’occurrence. Le

PCN

voulut faire de même mais leurs candidats refusèrent de renoncer à la course à la présidence. Le parti décida donc de les exclure de ses rangs. Ce fut une grave erreur stratégique, un mauvais calcul : en effet, un certain nombre de supporters du

PCN

aurait, à la suite de cet incident, décidé soit de s’abstenir, soit de reporter leur voix sur le candidat du FMLN, cherchant ainsi à sanctionner ARENA.   

A noter que ces élections présidentielles ont été les plus observées depuis la signature des accords de paix. En effet, entre les observateurs nationaux et internationaux, pas loin de cinq mille personnes ont observé les élections du 15 mars 2009. Cela provient du fait que l’on s’attendait à une course serrée entre les deux candidats. De plus, un certain nombre d’irrégularités avaient d’ores et déjà été dénoncées au cours de la campagne.

La loi électorale établit dans l’article 230 que la propagande électorale ne peut débuter que quatre mois avant les élections. Il s’avère cependant que cette règle n’a pas été respectée étant donné que les deux partis avaient déjà commencé leur campagne un an auparavant. Toujours est-il que comme les deux partis ont enfreint la loi de manière égale, le TSE a décidé de ne pas émettre de sanctions. De plus, il existe un certain flou juridique autour de la notion de propagande électorale car elle n’est pas explicitement définie dans le Code Civile salvadorien. Cependant, de manière générale, il est considéré que toute incitation à voter pour un candidat plutôt qu’un autre est une forme de propagande électorale.

Le TSE a aussi constaté un autre type d’irrégularités durant la campagne : en effet, d’après le code électoral, seuls les partis politiques eux-mêmes sont autorisés à faire de la propagande. Or le groupe Fuerza Solidaridad n’a pas respecté cette loi et fait publier des affiches et des encarts. Le TSE a donc entamé une procédure légale à son encontre.

La propagande sale n’a pas été absente de la campagne. Celle qui m’a le plus frappé est celle intitulée « Les vrais amis de Mauricio Funes » où, par un photomontage, on voit Funes recevoir une accolade de la part de Hugo Chavez, à côté de Fidel Castro et de Daniel Ortega. De même, un bon nombre de pamphlets distribués à travers le pays représentent des membres du FMLN armés, comme s’ils n’avaient jamais déposé les armes depuis la fin de la guerre civile.

III

. Mon lieu d’observation : Tamanique

Au travers du CIS, nous étions 265 observateurs de dix-neuf nationalités différentes, répartis dans vingt-huit municipes de huit départements.

Vendredi après-midi, nous nous sommes rendus dans nos municipalités respectives afin de faire connaissance avec les différents acteurs que nous allions être amenés à côtoyer le jour des élections. Je me suis donc rendue avec huit autres observateurs à Tamanique, dans le département de La Libertad. La municipalité compte une population totale de 16'572 personnes dont 7’908 ont le droit de vote.

Sur place, nous avons tout d’abord été reçus par le sergent Amilcar Mendoza de la

PNC

. Tamanique venait de recevoir les paquets électoraux qui allaient servir lors des élections et deux policiers montaient la garde en permanence devant la salle de classe de l’école Capitan General Herardo Barrios où se trouvait le matériel.

Le jour des élections, le 100% des effectifs de la

PNC

est mobilisé. Dans le cas de Tamanique, vingt-cinq agents de police sont sur le pied de guerre dès quatre heures du matin. Etant donné que les élections municipales et législatives de janvier avaient bien fonctionné, c’est à peu de choses près le même plan qui est appliqué pour les présidentielles du 15 mars, avec uniquement quelques changements ou améliorations suggérés par la JEM. En cas de troubles, la

PNC

peut demander des renforts mais ceux-ci ne peuvent provenir que du corps policier, mais en aucun cas de l’armée.

Le rôle de la police est non seulement de patrouiller dans les alentours du centre de vote et de vérifier que personne ne rentre armé, mais aussi de coopérer étroitement avec la JEM pour identifier et sanctionner les cas avérés de fraude. A noter que seuls les membres de la

PNC

peuvent entrer armés au centre de vote, même les gardes du corps des personnalités politiques ne peuvent être en possession de leur arme à l’intérieur du centre. De même si l’un des policiers vote, il ne peut avoir son arme sur lui pour se rendre à l’isoloir.

La

PNC

est aussi chargée de veiller au respect de la ley seca qui stipule que pendant trois jours – le jour de l’élection, vingt-quatre heures avant et vingt-quatre heures après – aucun commerce ne peut vendre de l’alcool et personne ne peut en consommer.

En discutant avec la

PNC

à Tamanique, nous avons pu constater un problème important quant au vote des policiers. En effet, ils ne sont pas forcément employés dans la ville ou municipalité dans laquelle ils résident. Ils travaillent au lieu qui leur est assigné durant six jours d’affilée et ils ont ensuite trois jours de congé durant lesquels ils rentrent chez eux. Seulement, étant donné que chacun doit voter dans son lieu de résidence et que le jour des élections le 100% des effectifs travaille, on estime que seul dix à quinze pour cent des 26'000 membres de la

PNC

peuvent effectivement voter, soit parce qu’ils travaillent dans leur municipalité, soit car ils vivent non loin de leur lieu de travail et parviennent à rapidement se rendre à leur centre de vote. Cela implique qu’en tout cas vingt-deux mille individus ne peuvent pas voter. Dans le cas de Tamanique, aucun des vingt-cinq policiers n’en aura la possibilité.

Samedi matin, nous avons rencontré José Antonio Barrios, le représentant légal de ARENA pour Tamanique. Il nous expliqua comment, à ses yeux, le FMLN à Tamanique avait profité de l’humilité et de la nature pacifiste de ARENA pour recouvrir les affiches arénistes avec les leurs. Il nous expliqua l’importante assise de ARENA dans la municipalité[1] de par ses liens avec les églises évangélistes. En effet, les évangélistes ont toujours été ouvertement arénistes. Or, il s’avère qu’ils constituent la plus importante communauté religieuse dans le canton avec près de septante temples, dont vingt-cinq rien que pour la localité de Tamanique. ARENA peut donc compter sur le vote des fidèles évangélistes.

Samedi après-midi eut lieu la rencontre avec Raoul, directeur du groupe municipal du FMLN et Elmer Ernesto Meneses, leader de JuST (Juventud Socialista de Tamanique). Les deux hommes exprimèrent leurs craintes quant aux chances du FMLN lors de ces élections. Effectivement, ils ont pu constater qu’à Tamanique et dans les environs, les milieux évangéliques mènent une campagne agressive et diffamatoire envers le FMLN. La désinformation et la peur sont les principaux outils utilisés par les temples de la région. Ils font courir la rumeur que si le FMLN gagnait, des bibles seraient brûlées, des églises détruites, etc. De plus, les évangélistes se sont fait un plaisir de relayer dans le canton les articles parus dans la presse nationale : cinq sénateurs et congressistes américains n’ont cessé de répéter que le FMLN est une organisation terroriste liée à Al-Qaida[2] et donc qu’en cas de victoire le gouvernement américain couperait les remesas. Sachant que les remesas constituent près de 50% du PIB salvadorien, on comprend mieux en quoi cela représente une importante tentative d’intimidation.

Les deux hommes nous ont cependant confié qu’ils s’étaient réjouis de la manœuvre du

PCN

, car en excluant les candidats à la présidence et à la vice-présidence pour qu’ils ne « volent » pas les voix de ARENA, un certain nombre de votants du

PCN

pourrait reporter leur voix sur le candidat du FMLN pour sanctionner ARENA. Effectivement, cette manœuvre du

PCN

a discrédité le parti et a été très mal reçue par les partisans.

Enfin, quand nous leur avons demandé quel était, à leurs yeux, la meilleure arme de ARENA pour remporter les élections, ils répondirent sans hésiter : l’argent. En effet, il est estimé que lors de la campagne, pour chaque dollar dépensé par le FMLN, ARENA en dépense quinze. Ainsi, en ce qui concerne le système des transports le jour des élections, le TSE fournit une partie de l’argent et le reste doit être fourni par les partis. De ce fait, lors des élections de janvier, il y avait quinze bus aux couleurs de ARENA et cinq du FMLN. Elmer Meneses nous expliqua aussi que son père, un aréniste convaincu qui vit à Los Angeles, a son billet d’avion pour le Salvador offert par ARENA lors de chaque élection. Le fait est que ARENA reçoit des appuis financiers de l’élite économique salvadorienne et parfois même d’autres pays alors que le FMLN reçoit peu d’aide financière.

Déroulement théorique du vote

Voici en résumé comment doit se dérouler le processus électoral le jour du vote.

Dès 5h00 : la JEM est l’entité responsable de remettre le paquet électoral à chaque JRV. Pour obtenir ledit paquet, il faut au moins que le président et le secrétaire de la JRV soient présents et signent le reçu.

La JRV révise le paquet électoral et vérifie que tous les éléments nécessaires sont présents. Les bulletins de vote sont comptés et il est vérifié que chaque bulletin comporte le numéro de la JRV. Le nombre de personnes figurant sur chaque registre doit être égal au nombre de bulletins de vote, soit 450 pour chaque JRV sauf la dernière table à laquelle sont assignées moins de personnes. Chaque JRV est identifiée par un numéro qui se trouve sur une affiche qui doit être placée bien en évidence. Le registre d’exhibition est affiché. C’est là que chaque votant pourra vérifier que son nom et sa photo apparaissent et qu’il est bien à la bonne table. L’un des membres de la JRV, normalement le président, déplie l’urne, vérifie qu’elle est bien vide et la ferme à grand renfort de scotch. Si ce n’est pas le président qui s’en charge, celui-ci doit au moins vérifier que celle-ci soit vide. Cela étant, la JRV peut remplir l’acte d’ouverture. Chacun peut s’asseoir à sa place, de gauche à droite : le secrétaire, le président, le deuxième vocal et le premier vocal. Ainsi chacun est assis à côté d’un membre d’un autre parti[3]. Une fois que la JRV est installée, chaque membre peut voter. Ils doivent impérativement le faire avant sept heure, soit l’ouverture du centre de vote au public, sans quoi ils ne pourront pas voter. Chaque membre de la JRV et son suppléant ainsi que les vigilants de chaque parti votent à la table à laquelle ils officient durant la journée, et non pas à la JRV où leur nom apparaît sur le registre. Après avoir voté ils doivent signer le registre de signatures et, pour éviter qu’ils votent une deuxième fois à la table où ils apparaissent dans le registre, ils doivent donner leur DUI au président qui les met dans un sachet plastique transparent et les garde bien en évidence sur la table durant toute la journée. Le fiscal (s’il y en a un dans le centre), les deux chefs de centre et les deux superviseurs (un pour chacun des partis en lice) doivent voter à la première JRV du centre et aussi remettre leur DUI au président de la table.

Dès 7h00 : le centre de vote est ouvert au public. Le votant se dirige à la JRV à laquelle il apparaît sur le registre. A proximité du centre de vote, des représentants du TSE indiquent à chacune et chacun quel est le numéro de la table à laquelle ils doivent aller voter. Chaque parti a aussi des centres d’orientation, cependant, ils n’ont pas le droit de faire figurer le drapeau du parti sur le papier qu’ils donnent avec le numéro de JRV.

En se présentant à la table, le votant va tout d’abord vers le président. Celui-ci reçoit le DUI du votant, vérifie qu’il est valide, qu’il n’est pas abîmé, qu’il ne s’agit pas d’un faux et dont le numéro ne dépasse pas 4'337'194[4]. Il vérifie que le votant n’a pas d’encre indélébile sur les doigts et le cherche dans le registre de recherche. Le nom du votant dans le registre est tamponné. Il se rend ensuite vers le secrétaire qui timbre et signe le bulletin de vote et le remet au votant après avoir déchiré le coin supérieur droite qui est numéroté. A noter une réforme dans la loi électorale : auparavant, si un bulletin n’avait pas été signé et tamponné par le secrétaire, il était déclaré nul au moment du décompte des voix. Dès 2009, le vote est validé et le secrétaire risque cent vingt dollars d’amende.

Le votant doit plier son bulletin dans l’isoloir car le montrer est considéré comme de la propagande. Il met lui-même son vote dans l’urne puis se dirige vers le premier vocal qui cherche son nom dans le registre de signatures et fait signer le votant. Etant donné le taux élevé d’analphabètes, il y a aussi possibilité de laisser son empreinte digitale. Enfin, le votant passe vers le second vocal qui va tremper l’un des pouces dans une lotion dégraissante, essuyer le doigt et le tremper dans de l’encre indélébile. Une fois toutes ces étapes accomplies, le second vocal rend le DUI au votant et inscrit une coche sur la feuille de contrôle.

Dès 17h00 : le centre de vote ferme à 17h00. Les membres de la JRV comptent les bulletins de vote non utilisés et ceux qui n’ont pu servir car étant endommagés. A l’aide d’un sceau tous ces bulletins sont marqués comme « PAPELETAS SOBRANTES ELECCIONES PRESIDENCIALES 2009 » afin de ne pas pouvoir être utilisés à mauvais escient. On compte ensuite dans le registre de signatures et le registre de recherche le nombre de votants qui se sont présentés. On compte enfin le nombre de coins de bulletins. Tous les chiffres doivent bien évidemment coïncider. Cela étant, le président ouvre l’urne et le décompte des voix commence. Ce sont les vigilants qui reçoivent les bulletins en faveur de leur parti. Le secrétaire garde les votes disputés, nuls et les abstentions. Une fois que les voix pour chaque parti ont été comptées, la JRV et les vigilants révisent les bulletins contestés et regardent s’ils peuvent parvenir à un consensus. Enfin, on répartit les bulletins de vote dans différentes enveloppes qui sont scellées. Le secrétaire rempli l’acte de fermeture qui doit être signé par en tout cas deux personnes de la table ainsi que les deux vigilants pour être valide. Enfin on distribue les copies de l’acte : une pour le TSE, une pour chaque vigilant, une pour la JED, une pour la JEM et une pour le procureur de la République.

Quelques règles établies par la loi électorale :

-          le vote peut être dénié sous les conditions suivantes : le DUI est faux ou abîmé ; le votant se présente avec une photocopie de son DUI ou sans son DUI ; le numéro du DUI est supérieur à 4'337'194 ; le votant n’apparaît pas dans les registres.

-          chaque parti a en quelque sorte ses propres observateurs. Les vigilants : chaque parti a un vigilant par JRV ; son suppléant ne peut jamais être à la table en même temps que le vigilant. En dessus des vigilants se trouvent les superviseurs, chaque parti à un superviseur pour vingt JRV. Ceux-ci répondent du chef de centre – un par parti et par centre – qui répondent du représentant légal – aussi un par parti et par centre. Toutes ces personnes ont le droit de porter des habits aux couleurs de leur parti pour autant qu’il n’y ait pas la photo ou le nom du candidat dessus ou une croix noire sur le sigle du parti car cela est considéré comme étant de la propagande. 

-          les membres de la JRV ont l’interdiction de porter des signes distinctifs identifiant leur affiliation partisane.

-          au Salvador, l’abstention est considérée comme un vote nul.

-          il est formellement interdit de montrer son vote, cela est considéré comme de la propagande. Il est donc aussi interdit de voter sur la table de la JRV et non dans l’isoloir.

Dimanche 15 mars 2009 : les élections

Je me suis rendue au centre de vote de Tamanique, situé dans l’école Capitan General Herardo Barrios, peu avant cinq heures du matin. J’ai assisté à la remise des paquets électoraux par la JEM aux JRV. Très rapidement, premier incident : lorsqu’ils appellent le président et le secrétaire de la table 5302, le secrétaire n’est pas encore arrivé. La JEM appelle donc son suppléant qui n’est apparemment pas là non plus. C’est alors qu’un homme portant des habits aux couleurs de ARENA et un t-shirt – non réglementaire – portant l’inscription « RODGRIGO AVILA PRESIDENTE » se présente et prétend pouvoir signer à la place du secrétaire. Les membres de la JEM lui demande son accréditation. En voyant qu’il n’est ni secrétaire ni suppléant, ils refusent de le laisser signer et disent qu’il faut attendre l’arrivée du secrétaire. L’homme commence à faire un véritable scandale dans la salle de classe. La JEM le menace de l’expulser du centre de vote s’il continue à leur manquer de respect de la sorte. L’individu quitte la salle de classe, furieux. Etant donné qu’il se trouve dans le centre de vote à cette heure-ci, cela signifie qu’il occupe un certain poste dans le processus électoral vu que l’accès n’est pas autorisé au public avant 7h00. Je le suis et lui demande poliment quel est son rôle. Il me dévisage et tourne les talons, sans un mot. Je l’interpelle de nouveau, lui montre mon accréditation et lui explique qu’en tant qu’observateur j’ai le droit d’obtenir ce genre de renseignement. Avec un sourire en coin, il m’annonce qu’il ne me le dira pas. Intervient alors une femme, la chef de centre de ARENA. Je lui explique la situation. Elle se tourne vers l’homme qui lui dit dédaigneusement « elle fait partie du groupe qui loge chez Don Saul… », suite à quoi la femme me dit « eh bien s’il ne veut pas vous dire, il ne vous le dira pas… ». Voyant que j’arriverai à rien, je rentre à nouveau dans la salle de classe où se trouve la JEM. Ceux-ci me donnent enfin le renseignement tant convoité : l’homme en question est le suppléant de José Antonio Barrios, soit le représentant légal, le plus haut placé dans la hiérarchie d’observation partisane. Pendant tout le reste de la journée, il se cachera chaque fois qu’il me verra avec mon appareil photo à la main pour tenter de prendre en photo son t-shirt non réglementaire.

La remise des paquets électoraux s’effectue pour la suite sans aucun problème. Je suis agréablement surprise par le grand nombre de femmes faisant partie des JRV. Il fait encore nuit quand j’accompagne la JRV que je vais observé toute la journée à sa table. Première surprise, il n’y a pas d’éclairage au-dessus de notre table. Il s’avère même que sur les dix-sept tables que compte le centre, neuf n’ont pas d’éclairage. L’installation se fait donc à la lumière des lampes torches que j’ai amenées. Dès l’ouverture du paquet électoral, la vigilante de ARENA commence à donner des ordres quant à qui doit faire quoi et se jette littéralement sur l’urne qu’elle monte et scelle – ce qui n’est absolument pas son rôle. Le président ne vérifie donc même pas que l’urne est bel et bien vide. Par mesure de sécurité, une fois que la vigilante de ARENA a le dos tourné, j’inspecte l’urne avec ma lampe torche : elle est bien vide. Le reste de l’installation se déroule sans accrocs. Chacun prend place, le président et le premier vocal sont arénistes, le secrétaire et le second vocal sont éfémélénistes. Les membres de la JRV et les vigilants peuvent commencer à voter. De nouveau la vigilante de ARENA est très active dans le processus alors qu’elle est sensée observer uniquement ! C’est par exemple elle qui récoltera les DUI de tout le monde.

Avec ces premiers votes, on constate le manque d’efficience de l’encre indélébile : elle est quasiment de la même couleur que la peau de certaines des personnes. Il faut constamment la secouer sans quoi elle laisse une trace quasi invisible.

A 7h00, les premiers votants arrivent. On sent que ces élections revêtent d’une importance particulière. Ainsi une vieille dame m’explique qu’elle est partie de chez elle à 4h00 du matin pour être sûre d’arriver au centre de vote dès l’ouverture. Plus tard dans la matinée, une petite grand-mère se présente pour voter mais elle n’a pas de DUI sinon un carnet électoral. Or, il s’avère que le carnet électoral n’est plus utilisé depuis près de deux décennies. Quand les membres de la JRV lui annoncent qu’elle ne peut pas voter avec ce document, la pauvre femme part en pleurant de déception.

Au fur et à mesure que les votants arrivent, je me rends compte du petit manège du secrétaire (FMLN) : lorsqu’il prend le bulletin de vote, il positionne ses doigts gauches de telle manière qu’ils pointent le drapeau du FMLN alors que ses doigts droits sont bien sur le côté du bulletin. Il est clair que cela est délibéré car à chaque fois, il regarde bien où ses doigts sont placés. Ensuite il tend le bulletin au votant, cherche un contact visuel avec ce dernier et lui dit : « maintenant vous pouvez voter, d’accord ? maintenant oui », tout en indiquant toujours très clairement le drapeau du FMLN. Cela n’a pas cessé de se reproduire, et de manière tellement claire que cela ne laissait pas de doute quant à savoir si cette démarche était délibérée ou pure coïncidence. J’ai d’ailleurs filmé cette incitation implicite à deux reprises et d’autres observateurs ont aussi remarqué le même manège.

A « ma » table, j’observe un certain laxisme de la part du président qui ne contrôle pas automatiquement si le votant a de l’encre indélébile sur les doigts.

Durant toute la journée, le centre d’orientation du FMLN a distribué des petits papiers portant le drapeau du parti – ce qui n’est pas réglementaire. Seulement en début d’après-midi des gens nous ont montré un papier avec le sigle de ARENA avec une croix noire en travers. Cependant, après discussion avec les autres observateurs, nous soupçonnons des membres du FMLN d’être à l’origine dudit papier car, après comparaison de nos photos, il semblerait que ce soit le même papier qui ait été montré à chacun d’entre nous. Qui plus est, le seul que nous ayons vu nous a chaque fois été amené et montré par quelqu’un; ce n’est pas nous qui l’avons repéré.

Durant la plus grande partie de la journée, la vigilante de ARENA est accompagnée de son suppléant, ce qui est interdit. De plus, les deux prennent beaucoup part au processus. Le suppléant aréniste aidant par exemple le président à chercher dans le registre le votant.

En général, je trouve l’attitude des vigilants des deux partis envers les votants très oppressante. Beaucoup de personnes se font escorter jusqu’à l’isoloir, un vigilant de chaque parti suspendu à ses bras. Dans l’après-midi, un homme se présente pour voter. Le vigilant du FMLN va avec lui vers l’isoloir, plie lui-même le vote et le met dans l’urne. Quand il remarque que j’en prends note, le vigilant vient se justifier et explique que ce votant est son oncle.

En me baladant dans le centre de vote, je remarque, alors qu’il est déjà midi, qu’une urne n’est pas scellée, ce qui signifie que n’importe qui peut potentiellement l’ouvrir. La JEM, une fois avertie, se rend directement vers la JRV en question et fait sceller l’urne.

La plus grande partie des votants se présente durant la matinée, ainsi l’après-midi est incroyablement calme. Je suis positivement surprise par la bonne ambiance qui règne généralement dans le centre entre les deux partis, qui plaisantent ensemble.

Alors que l’après-midi avance et que peu de monde vient encore voter, certaines JRV commencent à remplir l’acte de fermeture. Plus grave, il est déjà signé à certaines tables. Cela implique que même si au moment du décompte des voix il y a un désaccord sur le nombre de voix pour chaque parti, tous les membres de la JRV ayant déjà apposé leur signature en bas du document, quiconque peut y inscrire ce que bon lui semble.

A 17h00, je suis de retour à « ma » table. La fermeture de la table se déroule parfaitement, on voit que chacun sait ce qu’il fait. Tous comptent ensemble les bulletins restants – qui sont tamponnés comme « non-utilisés » –, les tampons du registre de recherche, les petits coins des bulletins, les signatures et empreintes digitales du registre des signatures. Comme tout coïncide, le président ouvre l’urne et le décompte des voix commence. Sur les deux cents huitante votants qui se sont présentés à cette JRV, 154 ont voté pour ARENA, 122 pour le FMLN et seuls 4 bulletins posent problèmes, soit parce que la croix touchait l’autre drapeau, soit parce que la croix n’était pas sur mais à côté du drapeau et il y avait aussi un cas problématique : alors que la croix était très clairement sur le drapeau du FMLN, le votant avait écrit, au-dessus du drapeau de ARENA « Arena asesino, mata diputados ». Ce dernier vote a été comptabilisé comme « impugnado », contestable.

En somme tout s’est relativement bien déroulé à ma table. J’ai trouvé que les personnes étaient compétentes et qu’il régnait généralement une bonne ambiance. Ainsi à la table voisine, lors du décompte des voix, quand le vote était aréniste, le président criait « POLICIA[5] ! » et quand il était en faveur du FMLN, « GUERRILLERO ! », ce qui faisait beaucoup rire tout le monde.

Enfin, un dernier problème a finalement été constaté par l’une des observatrices qui se trouvait dans le bureau où étaient faxés les actes de fermeture au TSE : l’un des actes, pourtant contresigné par toute la JRV avait une ligne vide : celle du nombre de voix en faveur du FMLN. Après avoir fait remarqué cela à la JEM, l’erreur fut corrigée et la copie dûment remplie renvoyée au TSE.

A Tamanique, ARENA a remporté les élections. Une fête aréniste a donc débuté dans le village...fête qui est bientôt devenue éféméléniste lorsque les résultats nationaux sont tombés. Et je peux vous assurer qu’à partir de ce moment, la ley seca a vite été oubliée !

IV. Irrégularités ou fraudes constatées par le CIS dans d’autres municipalités

En règle générale, tous les observateurs du CIS à travers le pays ont constaté que les élections se sont globalement bien déroulées, dans le calme, sans incidents majeurs. Certaines irrégularités ont cependant été observées un peu partout :

-          Les présidents des JRV ne contrôlaient pas les doigts des votants afin de vérifier s’il y avait de traces d’encre indélébile. Dans le même ordre d’idée, tout le monde est tombé d’accord sur le fait que le choix de la couleur d’encre était peu judicieux. Effectivement, comme le remarqua un des observateurs : « qui a eu l’idée d’utiliser de l’encre couleur café dans un pays où la majeure partie de la population a la peau couleur café ?! »

-          En général, il y a eu beaucoup d’intérêt pour les observateurs internationaux. Principalement les vigilants ont constamment essayé d’écouter ce qui se disait quand ils ne venaient pas franchement demander ce que l’on venait d’annoter.

-          Alors que la réglementation stipule qu’un seul vigilant de chaque parti peut se tenir à côté de la JRV, partout il a été observé que le suppléant était aussi présent en même temps.

-          Dans plusieurs municipalités, il a été constaté que le centre d’orientation de l’un ou l’autre des partis se trouvait trop près du centre de vote ; effectivement, la loi électorale stipule qu’ils doivent se trouver à une distance supérieure à 100 mètres du centre de vote.

-          Lorsqu’il a été prouvé dans différentes municipalités que des personnes ont tenté de prendre en photo leur vote, celui-ci a été déclaré nul et le bulletin détruit. A noter que cela relève de l’initiative personnelle de la JRV car il n’existe aucune loi faisait explicitement référence à la question de la photographie du bulletin. Cependant, cette initiative est plus ou moins justifiable en tant qu’interprétation de la loi relative au secret du vote.

-          A plusieurs JRV, les secrétaires timbraient et signaient les bulletins de vote en avance alors qu’ils sont censés le faire au fur et à mesure que se présentent les votants.

-          A travers le pays, un certain nombre de personne ont reçu le sms suivant, quelques jours avant le vote : « vote con sabiduría, no vote para la guerrilla [6]».

Enfin, environ deux semaines avant les élections, un policier a témoigné à la radio sous couvert de l’anonymat pour expliquer que cela faisait plus d’un an qu’il se rendait avec une équipe dans les pays voisins (Guatemala, Honduras et Nicaragua) pour recruter des personnes qui seraient prêtes à venir voter pour ARENA. Toujours selon ce témoignage, ces personnes se voyaient remettre un DUI salvadorien et étaient par la suite ajoutées sur le registre des votants.

Dans certaines municipalités des cas d’irrégularités plus graves ont été constatées.

-          Antiguo Cuscatlán : c’est dans cette municipalité que Mauricio Funes est venu voter. Le bureau de vote a été submergé par la presse qui tentait de tirer le portrait du candidat du FMLN. Pour se donner une idée, de petits films peuvent être trouvés sur youtube (Mauricio Funes Mete Su Voto, http://www.youtube.com/watch?v=js4RyTX wzv4 ; Mauricio Funes Votando en Antiguo Cuzcatlan http://www.youtube.com/watch ?v=rWGnmWaze4w; Mauricio echa su balota para el presidente http://www.youtube. com/watch?v=NtXsb9I7hfM&feature=related). Les journalistes avides de clichés ont grimpé sur des chaises, des tables. Seulement, en surplombant ainsi le reste de la foule, la presse avait une vue plongeante sur le bulletin de vote des quelques votants qui parvenaient encore à se faufiler jusqu’à l’isoloir, violant ainsi le secret du vote. Il y eut une altercation entre la presse et la JEM qui tentait de faire évacuer le centre de vote de tous ces journalistes mais ce sont ces derniers qui sont parvenus à expulser la JEM de la salle de classe où se trouvait la JRV où Funes votait. Enfin, quand Funes quitta le centre de vote, il y eut une telle bousculade que l’isoloir en question fut détruit et deux fenêtres furent brisées.

-          Chalatenango : un point positif constaté dans cette localité de cette région frontière avec le Honduras, est la présence de barrages de police installés sur la route afin d’essayer de débusquer les votants étrangers. Par contre, plusieurs observateurs ont été menacés d’être expulsé sous prétexte que leur rôle d’observateur devait prendre place depuis l’extérieur du centre de vote. Il fallut l’intervention du fiscal pour que les observateurs puissent rester dans le centre de vote. Enfin, un jeune homme avait oublié son DUI et ne pouvait donc pas voter. Un membre de la JEM lui a proposé de lui fournir gratuitement un transport afin d’aller chercher son DUI à condition qu’il vote FMLN.

-          Cinquera : le mercredi, lors d’une excursion à Cinquera nous avons rencontré Don Pablo témoin de la guerre civile. Il nous a raconté comment aujourd’hui encore, le curé du village fait de la propagande : il prend deux papiers, chacun portant le drapeau d’un parti. En montrant le drapeau aréniste qui est bleu, blanc et rouge avec une croix blanche bordée de noire au milieu, il demande à la population ce qu’elle voit. Lorsque les fidèles répondent qu’ils voient une croix, le curé les félicite : « oui, exact, la croix, celle du Seigneur, cela veut dire que c’est une chose bonne ». Puis, même question en montrant le drapeau éféméléniste – rouge avec une écriture blanche disant FMLN et une étoile – et les fidèles décrivent l’emblème du parti. « Exactement, un drapeau rouge, rouge comme la violence, comme le sang qui coule à cause de ces êtres violents. C’est à vous de choisir si vous voulez voter pour le candidat du Seigneur ou pour le candidat de la violence ». Toujours à Cinquera, le jour du vote, le représentant légal du FMLN a tenté de voter à la première JRV, où seuls le fiscal, les superviseurs et les chefs de centres ont le droit de voter sans être inscrits sur le registre de la JRV. Durant la soirée, alors que les résultats au niveau national tombaient, un membre de ARENA apparemment vexé se mit à tirer des coups de feu en l’air et blessa une supportrice du FMLN. 

-          Cojutepeque : des partisans du FMLN distribuaient des pamphlets diffamatoires envers Rodrigo Avila. Le texte était accompagné d’une image où l’on pouvait voir le visage de Avila dont la moitié était en fait une tête de mort. Dans le centre, il fut permis à un homme de voter uniquement avec la photocopie de son DUI.

-          Comasagua : la semaine précédant les élections, ARENA a affrété un bus pour permettre d’aller faire un duplicata de DUI à San Salvador, pour les personnes qui auraient perdu le leur. Le risque est que les vigilants puissent voter deux fois. En effet, ceux-ci votent à la JRV à laquelle ils sont assignés pour la journée. Etant donné que ce n’est pas automatiquement la JRV à laquelle leur nom apparaît dans le registre des votants, ils sont inscrits à la main à la fin du registre des signatures. Certes, ils laissent leur DUI à la JRV où ils ont voté, cependant, comme ils peuvent se faire remplacer par leur suppléant, s’ils ont un second DUI, ils peuvent durant leur pause aller se présenter à la JRV où ils sont inscrits sur le registre des votants et donc voter une deuxième fois.

-          La Palma : dans cette municipalité, il y eut un tollé car ARENA décida de garder son bureau ouvert le jour du vote, ce qui va à l’encontre de la loi électorale. Une foule s’est mobilisée et a menacé de fermer le bureau de force. Finalement, la police est intervenue et a fait fermer ledit bureau. Enfin, l’orientation a été chaotique et il se trouve que l’un des orienteurs du TSE – qui sont sensés n’être affiliés à aucun parti – n’était autre que l’ancien maire aréniste de La Palma.

-          Mejicanos (San Salvador) : le samedi soir, les observateurs du CIS ont reçu un appel dénonçant qu’une quinzaine d’autobus étaient arrivés a la Villa Olímpica de Mejicanos remplis de personnes ayant un accent guatémaltèque. Les observateurs se sont immédiatement rendus sur place. Au moment où ils sont arrivés, ils n’ont pu que constater la présence de quinze autobus verts mais plus personnes n’était présent. Ils ont donc tenté de discuter avec le garde de cette station de bus qui s’est d’abord muré dans un silence de plomb et a refusé de parler par peur de représailles. Après que les observateurs l’aient rassuré en lui promettant l’anonymat, l’homme a confirmé que les autobus contenaient effectivement des individus d’origine guatémaltèque venus pour voter. Le jour du vote, durant la matinée, lorsqu’un votant portant un t-shirt du FMLN est sorti de l’isoloir avec son bulletin plié, le 1er vocal de la JRV, qui était aréniste, l’a accusé d’avoir montré son vote, ce qui est sanctionné car considéré comme propagande. Tout le monde a commencé à s’en mêler, une dispute éclata, ils en vinrent aux mains, le vigilant de ARENA frappa un votant. Au final, le vote fut tout de même déclaré valide. Durant l’après-midi, la JEM est intervenue après avoir remarqué un homme qui avait l’air extrêmement confus. En suspectant qu’il s’agisse d’un votant étranger, la JEM lui a posé un certain nombre de question concernant son domicile, son adresse, les personnes qu’il connaît, etc. L’homme prétendait habiter à Santa Tecla mais ne connaissait pas son adresse ni aucun autre détail. La police l’a finalement embarqué et il n’a donc pas voté. Il semblerait que cet homme était en fait hondurien. Toujours dans le même centre de vote, un couple s’est fait retirer leur DUI par le fiscal après qu’ils aient laissé échappé qu’ils ne comprenaient pas pourquoi ils devaient voter une deuxième fois étant donné qu’ils avaient d’ores et déjà voté dans la matinée à San Miguel. Enfin, à l’intérieur du centre de vote, des représentants de ARENA ont distribué des t-shirts aux couleurs de leur parti.

-          Olucuilta : plusieurs individus ont tenté de voter avec des faux DUI écrits à la main. A l’extérieur du centre de vote des pamphlets anti-Funes ont été distribué, prédisant le pire pour l’avenir du pays dans le cas où le candidat du FMLN remportait les élections.

-          Puerto del Triunfo : le samedi soir, ARENA poursuivait encore sa campagne, ce qui constitue une violation de la loi électorale étant donné que toute campagne est censée avoir pris fin le mercredi soir déjà. Plusieurs votants sont rentrés dans le centre de vote avec des armes. Enfin, à toutes les JRV, les partisans de chaque parti pouvaient être clairement identifiés : tous les arénistes portaient des chapeaux de cow-boy blancs et tous les éfémélénistes un t-shirt et/ou un bandana rouge. 

-          San Benito : dans une maquilla et au Salón de Belleza Studio 54, des individus sont venus effrayer les travailleurs en leur disant que si le FMLN était élu, tous leurs clients partiraient du pays et ils feraient ainsi tous faillite.

-          San Isidro : un homme s’étant présenté pour voter a été accusé d’être hondurien. Après de nombreuses disputes et tergiversations, l’individu a pu voter puis il a été escorté jusqu’à la sortie du centre de vote par deux membres de ARENA. Plus tard dans la journée, un homme atteint de trisomie est venu voter, il lui a été remis un bulletin de vote mais avant qu’il puisse se rendre dans l’isoloir, la mère de cet homme est arrivée et a déclaré que son fils n’était pas apte à voter. Il n’a finalement pas pu voter. Cependant, alors qu’un bulletin de vote lui avait déjà été remis, personne n’a su dire ce qu’il était advenu dudit bulletin. Enfin, toujours à San Isidro, l’ambassadeur néerlandais a rapporté avoir vu un bus aux couleurs de ARENA distribuer, le jour même des élections, des sacs remplis de riz, de haricots, de sucre et de biscuits.

-          San Martin : samedi après-midi, lors d’un meeting avec ARENA, les observateurs du CIS ont reçu des menaces indirectes de la part de l’équipe aréniste qui a affirmé aux observateurs que leur sécurité ne pouvait plus être garantie au-delà de 16h et qu’ils feraient donc mieux de quitter le centre de vote avant. Le dimanche, des membres de ARENA distribuaient dans les bureaux des votes des coupons donnant droit à un repas gratuit distribué par des bus de ARENA, à proximité du centre de vote. Après plusieurs plaintes, la police est intervenue et a fait stopper la distribution à la fin de la matinée. Aux alentours de 19h, soit une fois le comptage des voix terminé, un vigilant de ARENA a tenté de partir en courant après avoir volé les copies carbones de l’acte de fermeture de l’une des JRV. Il a été rattrapé par une foule en colère qui l’a littéralement déculotté afin de récupérer les papiers qu’il avait rangés dans la poche arrière de son pantalon.

-          San Rafael Cedros : c’est la seule municipalité où des observateurs du CIS ont eu la preuve de l’achat de votes. Dans ce cas, ARENA distribuait aux personnes acceptant de vendre leur vote un petit papier avec leur nom inscrit dessus. Après avoir rempli son bulletin, le votant le laissait voir par le vigilant de ARENA et remettait ledit papier avec son nom à l’un des représentants arénistes. Le montant touché en l’échange d’un vote favorable à ARENA se montait à 25$.

-          San Salvador : le mercredi, un group d’observateurs a rencontré des employés d’une maquilla. Ceux-ci ont expliqué que leur employeur les avait menacé de perdre leur travail s’ils ne votaient pas pour ARENA. Ainsi, il leur a été demandé de prendre une photo avec un téléphone portable (prêté pour l’occasion) de leur vote[7]. En bref, il s’agit d’un chantage vote contre emploi qui s’adresse à l’un des secteurs de la population le plus démuni : les employés de maquillas. Le jour du vote, toujours dans la capitale, des vigilants des deux partis ont été surpris en train de chuchoter à l’oreille des votants. La présence de policiers anti-émeutes était visible près des centres de vote alors que le jour du vote ils ne sont censés être présent qu’en cas de troubles. Qui plus est, durant la nuit avant le vote, un nombre impressionnant d’hélicoptères avaient survolé la ville, créant un sentiment d’insécurité et de peur parmi la population. Enfin, il y eut dans la capitale un certain nombre de problèmes liés aux Salvadoriens résidant à l’étranger. En effet, ceux-ci devaient tous aller voter dans le stade Magico Gonzalez de la capitale. Un grand nombre de Salvadoriens vivant aux Etats-Unis mais dont le DUI avait été émis au Salvador n’ont pas pu voter.  Pourtant, cette mesure n’a pas été systématiquement appliquée.

-          Santa Ana : samedi toute la journée, dans la municipalité de Texistepeque près de Santa Ana, un commerçant local a organisé la distribution de tôle ondulée[8] à la population. Il s’avère que cet homme a été maire de sa municipalité sous les couleurs de ARENA il y a quelques années. Des observateurs du CIS ayant été averti de cette démarche se sont rendus sur place. L’homme leur a assuré que ce n’était pas un acte partisan, pourtant le matériel a été refusé à des membres du FMLN qui étaient venu chercher ce généreux présent. La JED a dénoncé cette activité qui se serait aussi déroulée dans la municipalité voisine de Santa Maria, le jour précédent. Sinon dans le centre de vote, à l’une des JRV, une machette était bien évidence sous la table, alors que toute arme est interdite à l’intérieur du centre de vote. Toujours à Santa Ana, une femme portant un t-shirt rouge s’est faite attaquer à la sortie du centre de vote.

-          Soyapango : quelques jours avant le vote, le président du TSE, l’aréniste Walter Araujo Morales aurait été surpris en train de menacer des commerces de perdre toute leur clientèle en cas de victoire du FMLN.

-          Tonacatepeque : les papiers avec le numéro de JRV auquel devait se rendre le votant distribués par le centre d’orientation du FMLN avaient la photo de Mauricio Funes au dos.

-          Usultán : des cas de votes des morts ont été reportés.

-          Zacatecoluca : plusieurs personnes sont rentrées dans le centre de vote avec leurs armes. De plus, du personnel militaire était présent à l’intérieur du centre de vote alors que la loi électorale ne permet l’accès au centre de vote qu’aux policiers.

V. Conclusion et suggestions

En règle générale, les élections présidentielles du 15 mars 2009 se sont très bien déroulées et dans le calme. Tout le personnel faisant partie du processus électoral (JRV, JEM, JED, etc.) a globalement fait preuve d’un grand professionnalisme. Toujours est-il que d’ici les prochaines élections, un certain nombre de détails devraient être améliorés. Premièrement, le registre des votants, ou padrón. En effet, jusqu’à maintenant, seul ARENA avait accès au registre. Il est impératif que tous les partis puissent avoir un droit de regard sur le padrón. De plus, il est nécessaire de le remettre à jour, d’en faire disparaître les morts – 80'000 à 100'000 personnes décédées figureraient encore dans le registre – et de permettre à toutes les personnes ayant atteint leur majorité de voter– le padrón des présidentielles de mars était le même que les municipales de janvier pourtant deux mois se sont écoulés entre temps durant lesquels certaines personnes sont mortes et d’autres ont atteint leur majorité civique.

Deuxièmement il me semble fondamental de tenter d’implémenter le vote depuis l’étranger. Effectivement, en période préélectorale, les partis s’agitent beaucoup autour de ce thème mais concrètement, au final, rien n’est fait. Or, au vu du nombre astronomique de Salvadoriens vivant à l’étranger (particulièrement aux Etats-Unis), il me semble que cette mesure est fondamentale et il devrait donc être offert à ces personnes la possibilité de voter auprès de leur ambassade ou de leur consulat dans leur pays de résidence.

Troisièmement, il est grandement nécessaire d’établir des régulations plus claires quant au changement de localité des individus. A l’heure actuelle, n’importe qui peut arriver dans une localité et s’annoncer en tant que résident dans celle-ci. Il n’y a pas de réelles vérifications ce qui implique que la même personne peut être inscrite dans des municipalités différentes et il existe donc le risque que ladite personne puisse obtenir deux DUI, un dans chacune des municipalités et donc puisse voter deux fois. Il est donc primordial de pouvoir définir avec exactitude quel est le lieu de résidence de la personne. Cela implique une nouvelle législation en la matière, plus précise.

Quatrièmement, comme le soulignait Eduardo Urquilla, l’un des magistrats du TSE, le code électoral salvadorien est le plus obsolète d’Amérique Latine. Il ne correspond plus à la réalité du pays. Plusieurs éléments devraient ainsi être changé à commencer par l’unique organisme électoral permanent : le TSE. Effectivement, les partis font parties intégrantes de la structure. Or, un organisme aussi important que le TSE devrait être libre de toute affiliation partisane.

Dans le même ordre d’idée, considérons les JRV : la formation que chacun reçoit est donnée par le parti d’affiliation. Ainsi à chaque table, tout le monde n’a pas reçu les mêmes informations, pourtant leur travail est le même. Donc les indications données aux membres de la JRV devraient être les mêmes pour tout le monde et dépendre, par exemple, du TSE.

Enfin, dans un cas comme celui du Salvador où il existe de très importants écarts de richesse, il pourrait être judicieux de mettre en place une législation obligeant les partis à une certaine transparence quant à leur financement. De plus, cela constituerait une grande avancée de définir des règles d’un accès équitable des partis aux différents médias.

Cela étant, il sera intéressant d’observer l’évolution du pays au cours des prochaines années. Pour l’instant on ne peut que se réjouir de voir que les rouages démocratiques ont l’air de fonctionner, l’alternance étant enfin arrivée après vingt ans de pouvoir de ARENA. Je pense qu’il est de mise de féliciter les deux partis : le FMLN pour sa victoire historique et ARENA pour avoir accepté sa défaite.

Espérons aussi que l’élite économique du pays se rendra compte que la Terre ne s’arrête pas de tourner avec l’arrivée au pouvoir de Mauricio Funes et que les Etats-uniens finiront par admettre que le FMLN n’a définitivement rien à voir avec Al-Quaeda et cesseront de tenter d’influencer la politique dans ce petit pays d’Amérique Centrale.

                                                                                              Stéphanie Eller

                                                                                                    Stagiaire


[1] Le maire de Tamanique est Enrique Arturo Polanco Hernández de ARENA, il est en poste depuis vingt ans déjà.

[2] J’ai moi-même lu un grand nombre de ces articles. Il faut dire que cela était répété quotidiennement dans la presse nationale.

[3] Voir JRV dans le Glossaire.

[4] Numéro du dernier DUI émis apparaissant dans le registre des votants.

[5] Rodrigo Avila est un ancien policier

[6] Vote con sabiduría (votez avec sagesse) est le slogan de ARENA.

[7] Ce type de démarche a été dénoncé dans un grand nombre de maquillas à travers le pays. Le FMLN a tenté de faire passer un texte interdisant l’usage de téléphones portables et d’appareils photos à l’intérieur de l’isoloir. Malheureusement, ce projet ne fut jamais accepté car il ne reçut aucun appui de la droite.

[8] Matériel très prisé pour la construction des modestes maisons de bon nombre de Salvadoriens.

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