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10 février 2009

Rapport Féminicide

Voilà mon rapport sur le féminicide:

Guatemala City, le 30 janvier 2009

Rapport sur la présentation de l’investigation « Guatemala 1999-2006 : Origen, manifestación y tendencias del feminicidio »

29 janvier 2009

Intervenants :

Mario Polanco (Directeur du GAM)

Manuél Pérez (GAM)

Miriam Maldonado, Adela Delgado et Patricia Borrayo (activistes féministes et professeurs en étude genre)

L’étude intitulée « Guatemala 1999-2006 : origine, manifestation et tendances du féminicide » a été menée par le GAM, Grupo Apoyo Mutuo, une fondation guatémaltèque à but non lucratif, qui œuvre pour la « promotion et défense des droits humains, [en contribuant] à la lutte contre l’impunité, la recherche d’indemnisation et de dignification pour les victimes de violations des droits humains et leurs familles. [1]» 

La violence envers les femmes est un phénomène observable dans toutes les sociétés à travers le monde. Cependant, quand elle se produit dans des contrées d’ores et déjà marquées par un climat violent, elle atteint des proportions incroyables et une horreur difficilement supportable. Le Guatemala fait partie des pays qui détiennent le triste record du plus grand nombre de féminicides sur leur territoire, bien que cela ne fasse pas l’objet d’autant de publicité qu’à Ciudad Juárez, à la frontière mexicano-américaine.

Au fil des années, le GAM a vu défilé un grand nombre de photos de femmes défigurées par une violence aveugle. En comparaison, le nombre de condamnations d’hommes ayant commis ces violences est ridiculement petit. Cela provient du fait que les femmes victimes de violences ne procèdent que très rarement à des dénonciations auprès des forces de l’ordre car elles savent que non seulement leur plainte ne sera pas prise en compte, mais qu’en plus elles seront moquées et ne seront pas prises au sérieux.

Nous sommes à la fin janvier et d’après les chiffres déjà disponibles pour 2009, du 1er au 24 janvier, 26 femmes ont d’ores et déjà été sauvagement assassinées. Si aucun changement ne survient dans les prochains mois, cette année battra le record de 2008.

Ces différents aspects ont constitué la majeure motivation pour le GAM de publier cette investigation dans le but de sensibiliser à ce fléau d’une part la société guatémaltèque et, d’autre part, pour tenter de faire connaître ce problème à l’étranger.

Comme précisé par Manuél Pérez (GAM), cette enquête ne se prétend ni exhaustive, ni concluante. On pourrait dès lors se demander quel est l’intérêt de la publier. La provocation est le but avoué de cette démarche. En effet, les membres du GAM espèrent arriver ainsi à inscrire le thème du féminicide à l’agenda politique.

L’investigation comporte six chapitres que je me propose de détailler quelque peu ici.

Tout d’abord, le premier chapitre est un bref préambule historique, revenant sur les racines de la domination de l’homme sur la femme, remontant jusqu’à la société hellénistique. Ainsi, il est établi que les structures sociales patriarcales se sont développées en établissant des inégalités et donc un rapport dominant-dominé, que ce soit la relation entre le maître et l’esclave, ou entre l’homme et la femme.

Le deuxième chapitre, intitulé « Les problèmes de développement et les droits humains de la femme » fait le lien entre la problématique du féminicide et celle du développement. En effet, les politiques néo-libérales ont creusé les écarts de richesses dans le pays. Ainsi, les conditions en zone rurale, par exemple, se sont encore détériorées, ce qui a bien entendu des répercussions sur la condition de la femme. Ainsi, en campagne, certaines sont victimes d’une double, voire d’une triple exploitation, de par 1° leur genre, 2° le milieu dans lequel elles vivent, soit un milieu rural, et enfin pour certaines 3° le fait d’être indigènes. Dans ce contexte économico social, la violence ne cesse d’augmenter.

L’épisode de la guerre civile au Guatemala a très clairement impliqué une détérioration de la condition de la femme. En effet, durant cette période, les femmes ont trop souvent été considérées comme un butin de guerre, image qui est restée ancrée dans les mentalités.

Dans le troisième chapitre, les auteurs de l’investigation cherchent à mettre en avant quels sont les éléments qui ont provoqué « Le début d’une histoire tragique ». Après avoir fait un lien entre les assassinats en série et les féminicides, ils expliquent comment l’implantation des maquilas[2] a eu une influence sur ce phénomène. Effectivement, celles-ci ont attiré beaucoup de populations pauvres dans les villes industrialisées. L’écrasante majorité des employés sont des femmes, qui doivent travailler dans des conditions extrêmement dures. Or, il y aurait un lien entre l’implantation des maquilas et l’apparition des cadavres. A noter que cette recrudescence de la violence envers les femmes ne se résume pas aux assassinats mais comprend aussi diverses formes d’abus et d’agressions dont sont spécifiquement victimes les employées des maquilas. Cela rappelle la situation à Ciudad Juárez où les employées des maquilas constituent la population la plus touchée.

« Le débat théorique idéologique autour du féminicide », le quatrième chapitre, fait état des différents débats sur la terminologie à utiliser pour qualifier ce phénomène. En effet, alors que certains parlent de féminicide, d’autres préfèrent utiliser ce terme au pluriel, ou encore recourir au mot fémicide. Différentes théories s’affrontent dans ce domaine. La question se pose aussi de savoir si ce terme englobe tous les assassinats de femmes ou si des restrictions s’appliquent. En somme, ce que met en avant l’étude c’est que tout assassinat de femme, motivé uniquement par le genre de la victime, doit être qualifié de féminicide.

Quoi qu’il en soit, il est évident que tout féminicide constitue une violation des droits humains car il est motivé par une discrimination. Ainsi, il est du ressort de l’Etat d’aborder ce sujet et non seulement de promulguer des lois, mais aussi de veiller à l’application concrète de celles-ci.

Dans ce chapitre, il est aussi traité d’une théorie du second Etat, élaborée par Rita Laura Segato. Bien qu’elle ait été formulée d’après une étude sur Ciudad Juárez, cette théorie paraît applicable, ou du moins intéressante pour traiter du cas guatémaltèque. En parlant de second Etat, Segato fait allusion à un Etat parallèle (criminel), toléré par un état national défaillant. L’auteur « propose donc que la lecture devrait être orientée par deux axes de relation (…) : un axe dit vertical, qui lie les positions asymétriques de pouvoir d’assujettissement, c’est-à-dire de l’auteur sur sa victime ; et un axe dit horizontal qui lie l’auteur à ses paires, dans une relation qui œuvre pour se maintenir symétrique. [3]»

Le cinquième chapitre, « Contexte économico social et apparition du féminicide au Guatemala », retrace l’évolution du phénomène au Guatemala : son apparition et surtout sa publicisation, sa dynamique, ses tendances, son terreau d’origine (la guerre et la situation économique et sociale du pays) et son évolution, année après année. Le Guatemala est un pays où le secteur informel a une grande importance. Ainsi, selon un rapport du PNUD, dans ce pays en 2002, ce secteur employait 66% des hommes et 73% des femmes. Ces chiffres grimpent à respectivement 76% et 84% dans le milieu rural. Cela implique que le nombre de personnes bénéficiant des lois du travail, entre autres du salaire minimum, est extrêmement réduit[4]. De ce fait, bien qu’entre 1990 et 2000 le pourcentage de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté eut diminué, il augmenta de nouveau entre 2000 et 2003.

Les femmes guatémaltèques sont exclues de différents domaines : de l’emploi, de l’éducation, de la santé et de la politique. Ainsi, pour prendre l’exemple de la sphère politique, les hommes occupent 95.44% des postes publics tandis que les femmes se partagent les 4.5% restants (dont seulement 1.25% pour les femmes indigènes)[5].

Force est de constater que tant qu’aucune amélioration ne sera à constater dans le contexte socio économique guatémaltèque, il y a peu de chances pour que la condition de la femme s’améliore et que le nombre de femmes tuées ne diminue.

De plus, il semblerait qu’il n’y ait pas de réelle volonté politique permettant d’envisager une éventuelle résolution de ce problème.

Enfin le sixième et dernier chapitre, « Multiples impacts du féminicide », cherche à identifier les répercussions du féminicide dans différents domaines, qu’il s’agisse du milieu social, de la culture, du politique, de l’économie ou encore de la justice institutionnelle. En effet, « quand des faits, qu’ils soient de nature sociale, culturelle, économique ou politique, se manifestent de telle manière qu’ils constituent une constante, qui par sa durabilité (…) son amplitude (…) sur un territoire, sa récurrence, complique et affecte, directement ou indirectement la vie quotidienne de la société dans son ensemble, provoque inévitablement ruptures et changements du tissus social sur le long terme et avec des conséquences souvent imprévisibles (…). [6]» Ainsi, dans la société guatémaltèque, la présence de ce phénomène implique des restrictions dans les libertés fondamentales comme par exemple la liberté de mouvement. Pour ce qui est du domaine juridique, comme le relève un rapport de l’ONU en 2006, « le progrès dans l’élaboration de normes juridiques, de politiques et de standards internationaux, n’a pas été accompagné par un progrès comparable dans son application au niveau national, qui continue d’être insuffisant et inégal à travers le monde. [7]» Bien que cette remarque ait été adressée à plusieurs pays, force est d’admettre que cela s’applique particulièrement bien au cas guatémaltèque où différentes lois ont été votées mais dont la mise en application n’a pu être observée.

L’investigation présentée par le GAM est intéressante sur certains points, comme par exemple le fait que les enquêteurs cherchent à effectuer des comparaisons avec Ciudad Juárez ou encore quand est posée la question de savoir si tout assassinat de femme peut être considéré comme un féminicide. Toujours est-il que l’enquête comporte quelques faiblesses, certaines étant cependant dues à des facteurs exogènes. En effet, cette enquête est principalement descriptive et bien qu’un grand nombre de chiffres soit fourni, peu d’informations sont disponibles sur les différents cas. Cela provient effectivement du fait que les seules sources d’information concernant le féminicide au Guatemala sont les registres de la police. Or ceux-ci ne fournissent que peu de détails qui permettraient d’acquérir une meilleure compréhension des faits ; seuls date et lieu de la mort sont répertoriés, l’enquête n’allant pas au-delà, il est donc impossible de différencier dans une liste de noms lesquelles furent victimes d’un crime passionnel, d’une règlement de compte entre narco-traficants ou maras, ou encore un cas de féminicide pur et simple.

En dehors de cela, l’une des faiblesses de cette investigation est qu’elle fait l’impasse sur les crimes intrafamiliaux. Or ceux-ci constitueraient environ la moitié des cas d’assassinats de femmes.

Ainsi, cette enquête discute principalement, pour ne pas dire uniquement, du rôle de l’Etat et de son inactivité dans le domaine. Cependant, comme le releva très justement une femme dans l’assistance, le problème en soi ne provient pas de l’Etat (la non résolution du phénomène est de la responsabilité de l’Etat, pas son apparition) mais de la mentalité régnant au sein de la société guatémaltèque. Ce qui permet l’existence et la survivance de ce problème est le fait qu’il ait au sein de la société un continuum de la domination des hommes sur les femmes, soit sur le corps et la vie de celles-ci. L’image de la femme comme butin de guerre a survécu au conflit civil et perpétue ainsi l’image de la femme comme un objet. Comme le fit très justement remarquer l’Ambassadeur du Chili, il faudrait une prise de conscience et une action dans le domaine de l’éducation afin de faire changer, petit à petit les mentalités.

Un autre point intéressant a été relevé lors de la présentation par l’une des intervenantes, Miriam Maldonado : l’une des femmes de sa famille a été victime d’un féminicide. Cependant, lorsqu’elle aborda récemment le sujet avec sa fille, âgée de 19 ans, celle-ci lui répondit qu’elle ne voulait rien savoir de cette problématique car cela l’effrayait. Il y a donc une réelle nécessité au Guatemala de dépasser cette peur pour réussir à éradiquer ce fléau, car la peur agit comme le mécanisme le plus puissant empêchant la mobilisation et l’action de la société. 

Enfin, Patricia Borrayo émit une dernière critique par rapport au fait que dans l’enquête Ciudad Juárez est considérée comme le berceau du féminicide. En effet, il faut évaluer cette problématique dans sa dimension globale et non pas locale. La raison pour laquelle on a tendance à attribuer ce rôle à la ville frontière mexicano-américaine provient du fait que, là-bas, le phénomène a atteint des proportions inimaginables. De plus, sa proximité au rêve américain en a fait l’objet d’une importante publicité au niveau international. Ainsi, plusieurs journalistes de différentes nationalités ont enquêté sur les assassinats. Un film sur le sujet a même été produit par Hollywood en 2007, intitulé « Bordertown : les oubliées de Juárez ». En somme, le travail de médiatisation est parvenu à rendre cette cause attrayante, mobilisant ainsi l’opinion internationale.

En définitive, cette enquête permet surtout d’informer sur le sujet celles et ceux qui ne sont pas au courant de ce phénomène au Guatemala. Cependant, elle n’apporte pas franchement de nouveaux éléments sur la question. C’est cela qui peut paraître frustrant ici, au Guatemala, le fait qu’il n’y ait pas (ou peu) de réelles avancées : il y a beaucoup de répétitions mais peu d’innovations du fait que la grande majorité des enquêtes sont descriptives et que les sources disponibles ne sont pas de qualité.

Stéphanie Eller

Stagiaire

Bibliographie :

  • GAM & Oxfam Novib, Guatemala 1999-2006 : Origen, manifestación y tendencias del feminicidio, Guatemala, 2007, 198 pages

  • www.gam.org.gt , site Internet du GAM, consulté le 30 janvier 2009


[1] www.gam.org.gt, page consultée le 30 janvier 2009, traduction personnelle.

[2] Les maquilas, ou maquiladoras, sont des usines qui importent (principalement au Mexique mais aussi au Guatemala) sans payer de taxes du matériel qui va être assemblé et/ou manufacturé sur place mais dont le produit fini ne va pas être commercialisé dans le pays.

[3] GAM & Oxfam Novib, Guatemala 1999-2006 : Origen, manifestación y tendencias del feminicidio, page 46, traduction personnelle.

[4] Op. cit., page 51

[5] Op. cit., page 61

[6] Op. cit., page 149, traduction personnelle

[7] Op. cit., page 154, traduction personnelle

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